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L’enfant et ses symptômes : introduction
Okba Natahi, psychanalysteAFPEC, 2018, journée d’études « l’enfant et ses symptômes »
Tout ce que je peux dire maintenant s’appuie sur ce que l’apport de la psychanalyse a ouvert dans la compréhension de la problématique de l’enfant et de l’enfance, et d’autre part se soutient de ce que les enfants ont pu enseigner aux psychanalystes dans la cure psychanalytique avec eux. On peut dire de la psychanalyse qu’elle a pris fait et cause pour l’enfant non point contre la famille, les parents, les institutions ou la société mais parce que l’enfant est le signifiant du devenir humain et le porteur d’une espérance dans la culture. Cependant la psychanalyse n’a jamais pensé l’enfant, comme certains discours peuvent le faire, perclus d’innocence et de passivité.La cause des enfants, pourquoi ? La psychanalyse a voulu éclairer ce refus inconscient, très commun, qui ne considère pas l’enfant comme une personne à part entière pour affirmer en contrepoint qu’il l’est dés sa naissance et quelques soient les symptômes qu’il présente. Si certaine que soit l’immaturité structurale qu’expérimente l’enfant dans sa venue au monde, ses potentialités, son génie créatif sont les dons dont il fait preuve, y compris dans sa façon de passer par des symptômes pour résoudre un malaise, un conflit ou un moment d’angoisse. Cette capacité créatrice passe par le langage en tant que l’enfant baigne dans le langage avant même de commencer à parler.Que peut-on dire alors de ce que révèlent perceptions, sentiments, sensations, symptômes et dires des enfants ? Si ce n’est que l’enfant adapte ses réponses à celui qui le questionne et se laisse enfermer dans le mimétisme au risque de se perdre. D’où ces batteries de discours qui interprètent sa parole selon les critères et les références du questionneur et ainsi diagnostiquer, traumatisme, handicap, don (chez les surdoués), excitation sous toutes ses formes, etc.. La psychanalyse offre donc un pas de côté, ou même elle est en rupture avec un tel exercice, puisqu’elle prend pour direction dans la rencontre avec un enfant la suspension du savoir théorique de la psychanalyse pour se brancher sur le savoir de l’enfant contenu dans sa parole et ses symptômes. On peut même dire qu’un enfant asymptotique ne peut que poser questions pour un psychanalyste. Aussi le psychanalyse accueille l’enfant en s’appuyant sur son statut de sujet et ce malgré son aliénation dans les discours (familiaux, sociétaux, religieux, culturels) qui parlent de lui. Il ne peut en cas être considéré sous la logique de l’apprentissage, l’initiation ou l’éducation, il est aussi un être de désir qui cherche à cultiver son être au monde et sa créativité certaine.Aussi l’univers de l’enfant est vécu, par lui, comme un rêve éveillé ; et cet imaginaire nécessaire, comme médiation avec la réalité, peut parfois s’avérer angoissant jusque dans ses rêves et cauchemars. En perpétuel devenir son monde est fait de trouvailles mais aussi d’impasses qui le rivent à questionner le sens de la vie et de la mort, ainsi que de la place qui lui est souvent assignée, celle de venir réaliser les fantasmes des parents. Il en résulte le plus souvent : « on parle beaucoup de lui mais à lui on ne parle pas… » (tucomprendras et tu sauras quand tu seras plus grand). Non pas qu’on ne s’adresse pas à lui mais on ne le crédite pas d’une parole vraie, fruit d’une pensée et d’une réflexion.La psychanalyse pose comme acte princeps : quelque soit la souffrance que vit un enfant, le plus souvent parlée par les parents, l’enfant exprime une parole en acte dont le symptôme est le message à déchiffrer par lui et avec lui. Ce qu’on rencontre le plus est le fait que les adultes veulent éviter la souffrance de l’enfant : or les parents ne peuvent éviter la souffrance quand ils pensent qu’ils sont dans l’impuissance de donner à leur enfant ce qu’il demande, voulant par là que l’enfant soit le plus souvent satisfait et les satisfasse. Si le désir est toujours satisfait alors meurt le désir ce qu’on peut rencontrer chez des enfants pris dans une logique itérative de l’avoir et devenus terreur de leurs parents, [« Pourtant il a tout ce qu’il faut »]. Or le refus que peuvent opposer les parents à leur enfant n’est destructeur que si ce refus est un impératif et sans explication. « Non je ne fais pas ce que tu veux et je pense que c’est juste de faire ainsi » une vérité se dit et une limite se construit. Leurs déceptions sont nécessaires et structurantes pour eux-mêmes et pour leur enfant. D’où souvent le malentendu qui peut émerger avec les parents en psychanalyse d’enfant et qu’il s’agit d’aborder avec beaucoup de tact et de compréhension. L’on entend de plus en plus souvent dire que les psychanalystes culpabilisent les parents alors que c’est le contraire puisque le pari psychanalytique souligne qu’il est fécond d’éveiller le sens de la responsabilité chez les parents et non la culpabilité au sens : « c’est de votre faute, c’est à cause de vous ». Ce que le psychanalyste éveille c’est un rapport à une vérité en soi, à une parole vraie et non à une faute. Mieux vaut se défaire d’une certaine ignorance et d’un certain nombre de non-dits et ouvrir la capacité de chacun à chercher et développer un nouveau chemin pour le développement de l’enfant. C’est ce rapport à la vérité, lié au savoir inconscient, qui est privilégiée comme dire, comme récit et comme transmission entre les générations.Vous connaissez, certainement, le drame abyssal des enfants abandonnés. C’est le drame de ceux qui n’ont pas connu le visage de leurs géniteurs et dont ils ne connaissent pas l’histoire. Il n’y a pas eu de mots pour les relier à la génération et personne n’en a déplié le récit. Quelque chose est là absent à jamais, et même s’ils sont adoptés, ou correctement traités dans des institutions, ils sont toujours en quête de cette énigme qu’avait laissée cette absence d’histoire dite dans les mots singuliers et la voix de leurs géniteurs.Depuis Freud en passant par Ferenczi, Mélanie Klein, Donald Winnicott ou Françoise Dolto et d’autres, les psychanalystes ont interrogé et ont démontré la plasticité psychique de l’enfant et la positivité des symptômes qui peuvent le représenter et parler de son être. L’enfant pensé, par eux, comme être de désir ; ces psychanalystes ont développédes méthodes pour l’accueillir et résoudre la souffrance qui pourrait l’arrêter dans son développement. Ces méthodes ont fait que la pratique analytique avec les enfants se démarque de toute autre pratique. Un certain nombre de repères ont été édifiés. En voici quelques uns :l’enfant avec ses symptômes semble assujetti ne faisant aucune demande, il ne peut pas être l’initiateur d’une demande, il n’en a pas la maitrise. Pour le psychanalyste ses symptômes parlent pour lui comme demande : corps, gestes, dires, problèmes solaires ou de comportement sont autant de lieux où peut être interrogée la demande de l’enfant. Le psychanalyste œuvre à donner une place à l’enfant comme sujet d’une demande. Quelle que soit la demande elle doit être questionnée, réélaborée avec lui et cela avant tout commencement.-la disponibilité : se garder de toute initiative éducative et n’utiliser aucune grille de lecture-travailler dans l’écoute de l’enfant à ne pas contester, ni apprécier ou juger mais juste moduler dans la parole et par la parole la possibilité d’un lien libre de toute aliénation.Récit d’une rencontre avec un enfant il ya de cela 30 ans.Une mère avait appelé pour un rendez-vous sur les conseils du pédiatre. Une petite fille de 5/6- ans entre ans entre dans mon bureau avec sa mère d. A peine échangé bonjour et son prénom que je lui demande et alors que nous étions debout elle va s’installer à mon bureau dans mon fauteuil, à ma place. La mère, légèrement gênée lui demande de revenir auprès d’elle et je réponds m’adressant aux deux qu’elle pouvait rester si elle se trouve bien assise là. Je m’assois de façon à avoir dans mon champ de regard à la fois la fille et la mère. Soudain la petite ses yeux rivés sur les papiers sur le bureau dit : « c’est toi qui va parler maman, dis au monsieur … » La mère relate des états d’angoisse de sa fille, des cauchemars qui la font hurler bien qu’elle dorme avec la lumière allumée. Je me suis appuyée sur le dire de l’enfant pour accorder toute la place à la parole d’une mère désemparée et que je ressentais comme habitée par une profonde tristesse et qui me livre des éléments à propos de la fratrie et concernant le père. J’ai laissé l’enfant maître de son silence et respectant ce que je comprenais comme une décision de la petite. Avant la fin de la séance j’explique à la fille qui je suis et comment je procède. Elle quitte mon bureau avec une feuille à la main et vient me la donner en me disant « pourquoi tu écris beaucoup ? ». Je prends la feuille sans la regarder et sans la remercier et j’ajoute que si elle souhaite revenir nous pouvons alors parler de tout ce que sa mère a dit à son propos, de ce que elle a à dire, de ça en montrant la feuille, et de mes écrits. J’ajoute à l’adresse des deux si le père était au courant de cette démarche. La mère répond que le père est au courant mais ne croit pas trop à la psychanalyse. Après leur départ je retourne à mon bureau rien de mes affaires n’a été dérangé, aucun de mes écrits n’a été chamboulé, ni gribouillé je me rends compte qu’elle a trouvé la seule feuille vierge sur mon bureaupuis j’ai regardé alors ce qu’elle a dessiné avec un stylo noir, bien qu’il y ait d’autres stylos de couleurs et des feutres sur mon bureau. Le dessin est celui de tout enfant du même âgequ’elle, et représentait un personnage allongé par terre avec d’énormes trous au milieu de ce que semble être la tête. Mon association immédiate a été c’est un mort, un gisant, mais un détail m’a échappé, et restera échappé pendant toute la cure alors que j’ai la certitude de l’avoir vu et remarqué. Elle revient et nous commençons, je ne l’interroge pas sur le dessin bien qu’il soit devant elle, elle n’en parle. Ne me demandez pas pourquoi, si ce n’est de la créditer d’une place ; celle où il lui revient à elle de m’en parler et de me questionner. Pendant un an seuls les cauchemars, images terrifiantes de monstres avec des yeux vides qui ne regardent dit-elle, sont en circulation entre elle et moi ainsi que l’impatience du père dont elle me dit qu’il travaille beaucoup et qu’il va à la messe tous les dimanches. Un jour elle arrive et fait un dessin, c’est un monstre décrit dans les cauchemars et elle me dit « c’est toi » je lui dis alors le monstre c’est aussi moi, elle répond « oui c’est toi mais toi tu es vivant et tu es aussi le monstre mais il est mort ». Je lui dis il n’y a des choses que je ne vois pas et qui sont compliquées pour moi mais j’ai la certitude qu’elle sait beaucoup de choses là-dessus.S’en suit une interrogation sur comment on peut être tout à la fois vivant et mort, en passant par les contes et les contenus des dessins et sa parole. Puis un jour sa mère téléphone et me dit que sa psychanalyste lui a dit de dire à sa fille quelle ne l’avait pas désiré, que quand elle était petite elle était absente à elle et à elle-même. Je lui demande pourquoi elle m’en parle. Elle me dit souhaiter mon avis et si j’acceptais qu’elle vienne dire et parler à sa fille en ma présence. Je réponds surtout à sa demande de parler à sa fille, mais nullement sur ce que son analyste lui a suggéré de dire. A la fin de la séance, consécutive à l’appel de la mère, je propose à la mère de nous rejoindre et je signifie à la petite que sa mère voulait lui dire quelque chose d’important mais en ma présence. La mère s’adresse à sa fille et lui dit : « Je voulaisque tu saches que je te remercie de m’avoir fait, par ta venue au monde et ta présence, renouer avec la vie. Sa fille la regardait intensément pendant qu’en pleurs sa mère lui parlait. Captant son regard, la mère dit encore à sa fille « tu es une joie pour moi » se lève de son fauteuil et la serre dans ses bras, alors la petite pose délicatement un bisou sur un des yeux de sa mère. La séance d’après la petite se réinstalle à mon bureau,chose qu’elle n’a jamais reproduite après la première rencontre ; j’ai interprété tout de suite cela comme la dernière séance, comme une boucle qui s’est bouclée, je lui dis alors qu’elle était rivée sur le dessin qu’elle coloriait « je pense qu’aujourd’hui c’est la dernière fois que tu viens. Je pense que maintenant les monstres sont retourné dans leur monde et probablement après la semaine dernière où ta mère t’a parlé de choses importantes ils ne reviendront plus». Sans me regarder elle me répond, « non ils sont partis avant mais je ne te l’ai pas dit. » Elle en a fait effectivement son affaire.Vingt ans après je reçois un coup de fil, elle se fait connaître, elle demande si elle peut venir me voir. Elle vient très émue et me dit avoir eu une terrible dispute avec sa mère. Elles étaient, veille de Noël, en voiture elle parlait à sa mère et elle avait le sentiment que celle-ci était ailleurs. Elle lui dit : « maman tu ne m’entends pas, tu ne m’écoutes pas, tu ne me réponds pas ». Sa mère lui hasardant, comme réponse un vague « mais si »; elle exige de sa mère qu’elle arrête la voiture et lui dit en rage : « Non tu n’écoutes car tu ne sais pas ce que c’est d’avoir vécu petite avec une mère morte ». Un silence de plomb les a submergé dit-elle restant ainsi dans la voiture arrêtée au bord de la route, et ajoute « J’espère que je ne l’ai pas détruite » me dit-elle. Je lui réponds non et je pense sa mère est un être sensible et capable d’entendre une telle vérité ; ce que je pense profondément de cette femme. Après son départ, alors que je me trouvais dans une sortie de rêverie dont le contenu est comme Après son départ, alors elle est devenue une éclatante et belle jeune fille, la présence du premier dessin fait par elle s’est imposée à moi. J’ai mis du temps pour le retrouver. Le regardant me saute aux yeux le détail que j’ai noté mais que j’ai occulté, fait disparaître. Le mort était une morte, allongée par terre avec des yeux vides elle avait de longs cheveux noirs.
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