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Lacan et le stade du miroir

10 Janvier 2018 , Rédigé par L'APFEC Publié dans #Nos publications

« Lacan et le stade du miroir », Yasmine Belhassen

 

Journée d’études, « L’image et l’imaginaire ». AFPEC, Le 2 décembre 2017

 

Parler d’image et d’imaginaire, cela signifie de parler du « miroir » et du « regard ».

Mais qu’est-ce qu’un miroir, si ce n’est avant tout, une surface qui produit une image.

Et une image, qu’est-ce que c’est ? La réponse n’est pas évidente. Il y a image visuelle, image mentale, image corporelle, image inconsciente ou encore image visible-image invisible.

Heidegger avant-gardiste comme il l’est, en 1938, écrivait que monde moderne est le monde en tant qu'” image conçue “ c’est-à-dire bild. Une “image conçue” n’est pas simplement une ” représentation ” du monde, c’est bien plutôt à l’intérieur du monde-comme-image-conçue que peut se déployer le ” combat ” entre diverses représentations du monde.[1]

Je me demande qu’est-ce ce que dirait Heidegger s’il avait un compte Instagram un compte Snapchat où l’image remplace tout, où seule l’image est reine.

J.A. Miller a introduit ce terme d’image reine comme homologue dans l’imaginaire de l’expression « Signifiant-maitre » dans le symbolique. Le signifiant-maitre c’est le signifiant par lequel le sujet cherche à être représenté dans le symbolique. L’image est reine dit-il, parce qu’elle domine la jouissance. Aujourd’hui, rien ne peut être représenté autrement que par l’image ; même la radio que l’on est censé entendre et ne pas voir devient image, et toutes les émissions sont diffusées en direct : aujourd’hui, on peut regarder la radio.

Gérard Wajcman dans son livre Œil Absolu, écrit, « Un œil sans paupière est sur le monde. Le regard est notre nouveau Léviathan. Il s'agit de tout voir, toujours, et de donner tout à voir. »

 

Lacan parle pour la première fois du stade du miroir le 16 juin 1936 devant la Société psychanalytique de Paris ; deux mois plus tard, le 3 Août, il fait sa communication au Congrès psychanalytique international sous le titre de « Stade du miroir, théorie d’un moment structurant et génétique de la constitution de la réalité, conçu en relation avec l’expérience et la doctrine psychanalytique ». Ernest Jones qui présidait le congrès, l’interrompt au bout de dix minutes. Fâché, Lacan ne remet pas son texte à la publication et il réécrit son texte, le texte de 1949 intitulé « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique ».

 Le stade du miroir est un texte fondateur de la fonction de l’imaginaire dans la genèse du moi.

Le mot « imaginaire » n’apparaît qu’une seule fois, comme adjectif, alors que la référence au symbolique est omniprésente, qu’il s’agisse de « matrice symbolique » de « réduction symbolique » et surtout « d’efficacité symbolique » qui est d’ailleurs une expression qui renvoie à l’article du Lévi-Strauss.

 Le titre même du stade du miroir, inclut dans son énoncé « la fonction du je », ce qui souligne d’emblée l’importance du langage et donc du symbolique. Comme dans son séminaire L’angoisse, la séance du 28 novembre 1962, Lacan dira que le stade du miroir reflète pleinement le « tressage » et « l’entre-je » des registres imaginaire et symbolique. Ce tressage avec le symbolique et le réel l’amène à présenter une version plus généralisé du stade du miroir en 1954 avec le support d’un montage physique du schéma optique comportant deux miroir ; un miroir plan et un miroir concave, ce qui fait apparaître, en plus de l’image virtuelle réfléchie par le miroir plan, une image réelle.

è Ce support sert aussi à différencier le moi-idéal relevant de l’imaginaire et l’idéal-du moi relevant du symbolique chose qui n’était pas possible avec le stade du miroir de 1949.

L’idéal du moi est représenté par l’Autre vers lequel l’enfant se retourne lors de son expérience de jubilation. Ce regard de l’Autre s’intériorise par un signe qui fait trait unaire, selon l’expression choisie par Lacan pour traduire l’enziger Zug désignant chez Freud un trait d’identification.

Il m’a semblé important de citer les auteurs qui ont inspiré Lacan pour sa conception du stade du miroir, et contre toute attente on ne trouve pas Henri Wallon qui a lui-même décrit une phase du miroir chez l’enfant. L’interprétation de Wallon de l’enfant face à son image est cependant très différente de celle de Lacan. Selon lui, le miroir s’inscrit dans le progrès de la maturation naturelle de l’enfant « de manière finalement à se saisir lui-même comme un corps parmi les corps, comme un être parmi les êtres » cette réalisation est possible dans la mesure où son moi extéroceptif devient irréalisable pour lui-même accédant ainsi à une existence symbolique. La conception de Wallon apparaît donc à l’opposé de celle Lacan, puisqu’il aboutit à la notion d’irréalisation de l’image. Pour Lacan, c’est la réalité fictive de l’image qui donne au moi sa consistance.

Les travaux qui ont aidé Lacan à conceptualiser son stade du miroir sont par exemple, Louis Bolk sur la foetalisation, Elsa Köhler sur la Gestalt, Charlotte Buhler sur le transitivisme ainsi que Mélanie Klein sur le corps morcelé.

 

Le Stade du miroir

L’étape du miroir est d’une immense valeur symbolique dans l’évolution psychique du petit enfant. Cet étape lui permet de prendre conscience qu’il est différent de sa mère et de l’autre. Cette phase du miroir que J. Lacan a situé entre sept à huit mois, permet à l’enfant de distinguer entre Moi et l’autre.

C’est une étape dans laquelle l’enfant découvre son reflet dans le miroir pour la première fois ; Nasio nous explique que dans cette étape, Lacan n’a pas mis l’enfant, ni même son regard en tête d’affiche mais l’image spéculaire de son corps. « Si nous imaginons le stade du miroir comme un drame noué autour de l’image spéculaire, les autres personnages seraient : le corps de l’enfant, la lumière qui éclaire, le miroir qui le reflète, l’œil qui capte l’image et enfin l’adulte qui accompagne l’enfant, témoin de la scène. Tous ces protagonistes jouent un drame qui aboutit à la naissance du Je de l’enfant, de son Moi et l’Autre ». Nasio (2007)

L’image spéculaire montre à l’enfant que son corps revêt une forme humaine, lui fait sentir qu’il est une entité distincte des autres figures reflétées dans le miroir, l’enfant se perçoit comme une forme humaine dynamique et mouvante et comme entité différente de sa mère. 

L’image spéculaire donne à l’enfant l’illusion triomphante de maitriser son corps, et cela est jubilatoire. Lacan précise à ce titre que "L'assomption jubilatoire de son image spéculaire par l'être encore plongé dans l'impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu'est le petit homme à ce stade infans, nous paraît dès lors manifester en une situation exemplaire, la matrice symbolique où le je se précipite en une forme primordiale, avant qu'il ne s'objective dans la dialectique de l'identification à l'autre et que le langage ne lui restitue dans l'universel sa fonction de sujet."[2]

Le Moi s'aliène à cette image spéculaire, la connaissance de soi passe par la connaissance de son semblable. Pour Françoise Dolto (1984), il n’y saurait y avoir de stade du miroir sans cette assistance symbolique produite par un adulte. Elle insiste, « Nul stade du miroir n’est possible sans l’autre, un tiers jouant le rôle de la médiation symbolique. »

Cela nous fait penser à la première conception théorique de Lacan (1938-1952) où l’enfant paraissait comme légèrement abandonné face à son miroir, sans recours humanisé. Comme disait F. Dolto, "Un enfant sans l’autre est dans un désert face à son reflet".

En 1953, Lacan modifie la présentation du stade du miroir pour le relativiser en tant que soumis à l’ordre symbolique. Cette image spéculaire qui est renvoyée à l’enfant via son reflet, est inscrite dans l’ordre imaginaire, la présence de l’autre viendrait instaurer donc le symbolique.

Cet Autre, d’après Lacan, est requis pour rendre simplement l’image spéculaire possible. Cette image, Lacan va la comparer ou l’assigner au Moi idéal qui vient caractériser essentiellement l’instanciation imaginaire.

· Freud en 1923, écrivait que le Moi idéal renvoie à un narcissisme primaire infantile. Sa construction est positive signalant l’activité d’une conscience élargie.

· Trente ans plus tard en 1953 Lacan reprend cette conception du moi idéal et déclare que « le système du moi n’est même pas concevable sans le système de l’autre. » Selon lui, le moi idéal ne peut être que dans le versant imaginaire et l’idéal du moi serait au titre d’une instance symbolique. Pour lui donc, pour qu’il y ait validation de l’imaginaire il faut absolument qu’il y ait la présence du symbolique. Lacan insiste quant à la valeur et l’importance capitale que prend l’autre, dans cette étape ou l’enfant est confronté à son image spéculaire, il assigne dès lors à cet Autre une fonction d’assentiment, « Dès lors que l’obtention de cet assentiment est requis pour que se réalise sous forme d’une introjection symbolique ce qui, entre en jeu au niveau de l’idéal du moi.» J. Lacan, (S VIII p. 414)

Cette phase de miroir amènerait donc à la constitution du « Moi » et du « Je ». Lacan, dès 1949, a précisé que dans ce stade du miroir il y a formation de l’identité et ce, en faisant naitre un Je et un moi.

En reprenant le stade du miroir J.D Nasio expliquait à ce sujet, « le moi c’est se sentir soi-même installé dans un corps obéissant à des besoins, traversé par des désirs et le produit d’une histoire. Le Je est une affirmation de soi, le premier est l’affirmation symbolique et le deuxième c’est l’affirmation imaginaire. ». Par l’expérience spéculaire, le petit enfant accède au sentiment d’être Un. Et ce sentiment annonce justement l’arrivée du Je. Nasio rajoute à ce propos, que dans cette phase du miroir, on assiste à l’éclosion de l’entité qui annonce le « Je » symbolique, et l’unité annonce le « Moi » imaginaire. On peut faire l’hypothèse que dans la psychose par exemple il y eu un creux qui s’est dessiné entre le Je et le Moi puisque le Moi imaginaire régi par l’impasse spéculaire n’a pas pu être appuyé par le symbolique et donc le Je s’est construit d’une manière parcellaire.

· D’après Laplanche et Pontalis (1965), « c’est une phase de constitutions de l’être humain (…)., l’enfant étant encore dans un état d’impuissance et d’incoordination motrice corporelle. Cette unification imaginaire s’opère par identification à l’image du semblable comme forme totale ; elle s’illustre et s’actualise par l’expérience concrète où l’enfant perçoit sa propre image dans un miroir. Le stade du miroir constituerait la matrice et l’ébauche de ce que sera le Moi. » p.452

Dans le stade du miroir, en parlant de la formation du « je », Lacan parle de « miroir identitaire. » Lorsqu’il s’identifie l’image dans le miroir, l’enfant s’identifie à quelque chose dont il est séparé, et c’est en tant qu’autre que le sujet fait l’expérience de lui-même. Cet acte fondateur n’est pas seulement émotionnel et intellectuel, il produit une coupure qui sépare le sujet de l’objet qu’il perçoit. Pour Lacan, le stade du miroir est « la matrice où le je se précipite en une forme primordiale avant qu’il ne s’objective dans la dialectique de l’identification à l’autre et que le langage ne lui restitue, dans l’universel, sa fonction de sujet ».

Lacan insiste sur le caractère fictif du moi, une fiction tout à la fois dans le sens de ce qui est construit et de ce qui est raconté dans un récit imaginaire. Le stade du miroir situe le moi « avant sa détermination sociale dans une direction fictive que l’enfant devra concilier avec sa réalité propre ». Le Moi n’est donc pas basé sur le fonctionnement d’un système de perception/conscience, ni organisé par le principe de réalité, mais existe largement grâce à la méconnaissance. Avec le développement du langage, l’enfant commence à attacher des signifiants à ce qu’il perçoit de son corps et s’engage dans la construction de ce qui deviendra le moi. Le moi pour Lacan tombe précisément dans le piège tendu au sujet au point précis où pour la première fois il se perçoit dans le miroir. Ce qu’il voit est un autre qu’il ne peut se représenter qu’avec des signifiants qui lui échappent et créent une fiction. Comme Joël Dor le fit remarquer « L’objectivation imaginaire du sujet s’appelle le moi et le moi se prend pour le je ». Pour Lacan, le bébé dans sa première année est donc capable d’une réflexion profonde.

 

Le Regard

Dans sa théorisation du stade du miroir, J. Lacan (1956) accorde à la dimension visuelle « le voir » une importance capitale Selon lui « tout est affaire de voir, tout se passe dans le voir. Voir l’image spéculaire et s’y (re)connaître ; tel est l’enjeu d’un processus qu’on pourrait qualifier « d’éthologie du voir. »

Mais pour voir l’image spéculaire et s’y reconnaître il faut : 1/ un cet œil qui regarde,

2/ il faut qu’il y ait ce regard de l’autre aussi qui nous rassure et nous donne notre consistance du moi.

Dans le séminaire « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse »[4], Lacan nous raconte une anecdote qui datait de vingt ans. Alors qu’il était en Bretagne sur un bateau avec une bande de pêcheurs, il aperçoit au loin un point lumineux, quelque chose qui flottait à la surface des vagues ; c’était une boite de sardine qui miroitait au soleil et là un des pêcheurs qu’il a nommé Petit Jean, en s’adressant à lui, dit « tu vois cette boite ? tu la vois ? Et ben elle, elle ne te voit pas ! » Lacan ne trouvait pas cela drôle et s’interroge alors sur cette boite qui ne le voit pas mais « qui me regarde, dit-il, elle me regarde à partir de ce point lumineux, et là selon lui à cet instant précis il faisait tache dans le tableau ».

Lacan va ressentir une certaine gêne suscitée par ce regard. Quelques années plus tard, il prendra appui sur le génie de cette phrase dite par Petit Jean pour faire la distinction entre l’œil et le regard.

Nous sommes avant tout, des êtres regardés. Le regard, c’est toujours le regard de l’Autre dit-il. Le regard de l’autre qu’on veut capter, capturer, garder ; ce regard de l’autre qu’on veut provoquer des fois pour exister. Cet Objet-regard n’est pas seulement objet de désir mais aussi et surtout l’objet qui cause le désir.

Dans L’être et le néant, Sartres, à propos du regard de l’autre, écrit :

« Par le regard d’autrui, je me vis comme figé au milieu du monde, comme en danger, comme irrémédiable. (…) Autrui est l’être vers qui je ne tourne pas mon attention. Il est celui qui me regarde et que je ne regarde pas encore, celui qui me livre à moi-même comme non-révélé, mais sans se révéler lui-même, celui qui m’est présent en tant qu’il me vise et non pas en tant qu’il est visé ; il est le pôle concret et hors d’atteinte de ma fuite, de l’aliénation de mes possibles et de l’écoulement du monde vers un autre monde qui est le même et pourtant incommunicable avec celui-ci »[5]. Plus loin il rajoute, « j’appréhende le regard, je cesse de percevoir les yeux » Pour Sartres, le regard se détache de l’œil.

Lacan prend appui sur cette optique que l’œil et et le regard sont une forme distincte l’une de l’autre, et désigne cette capture par laquelle un sujet, dans le champ scopique, se détermine dans un rapport à un objet insaisissable. Il dit, « que de tous les objets par lesquels le sujet peut reconnaître la dépendance, où il est dans le registre du désir, le regard se spécifie comme insaisissable. » Le regard serait alors un point de fuite, un manque central.  

A la question, Qu’est-ce donc un regard Lacan répond ceci « Dans notre rapport aux choses, tel qu’il est constitué par la voie de la vision, et ordonné dans les figures de la représentation, quelque chose glisse, passe, se transmet, d’étage en étage, pour y être toujours à quelque degré éludé. C’est ça qui s’appelle le regard »[6]

Pour Lacan, le regard est, un objet pulsionnel, et un objet cause du désir. C’est ce qui fait que le sujet regardant est un sujet regardé, en tant que le regard dont il parle n’est pas un regard du sujet, mais un regard qui porte sur le sujet. Il est à la fois invisible et insaisissable.

Dans « Les quatres concepts fondamentaux », Lacan déclare que « L’œil et le regard, telle est pour nous la schize dans laquelle se manifeste la pulsion au niveau du champ scopique ».

il y a donc une schize entre le regard et l’œil, une coupure qui renverrait au réel et à l’imaginaire. Dans le réel, c’est la pulsion scopique qui ne se saisit que s’il y a satisfaction, on parle de jouissance du regard. Tandis que dans l’imaginaire, on parle plutôt de perception visuelle qui est structuré par le symbolique.

Le regard est donc en mouvement, un mouvement dynamique qui se détacherait du corps et qui s’évanouirait pour devenir insaisissable et c’est justement cette caractérise qui conduit Lacan à le déterminer comme objet a, avec la série des objets s’inscrivant dans leur rapport au manque et donc suscite le désir.

 

Qu’est-ce que cet objet ?
C’est à partir de l’objet transitionnel de Winnicott, cet objet qui fait tiers entre la mère et l’enfant, que Lacan va commencer à élaborer l’objet a.

 Dans une première élaboration, l’objet a, a correspondu pour Lacan à l’initiale du petit autre, s’inscrivant dans le registre imaginaire et surtout initialement, situé comme objet de la mère. Très vite Lacan reprend cette définition et l’objet a n’est plus celui de la mère. Il parle alors, d’une coupure entre le sein de la mère et son corps, entre cet objet et la mère ; et il précise que l’enfant perd toujours quelque chose de lui. Il chute, il n’est ni l’objet transitionnel, ni de l’un ni de l’autre. L’objet a n’est pas l’autre, il n’est pas non plus le phallus, si ce n’est dans le fantasme, il est un semblant pris dans une métonymie dont le phallus est l’horizon. Il n’est pas l’objet partiel au sens strict du terme. Il est alors désigné comme objet du désir et « reçoit sa fonction du symbolique ». L’objet a n’est pas imaginaire vu qu’il s’en détache, il a sa place d’emblée dans le symbolique comme cause du désir et non pas comme son objet.

Revenons au Regard, étant désigné comme objet a, il cause le désir certes, mais il peut être angoissant parce que insaisissable.

 Dans une interview le Cinéaste Serge Moati disait « j’ai perdu mes parents très tôt et j’ai vite oublié leur regard et et leur visage et c’est pour cela que j’ai commencé à faire des films très vite pour retenir les choses, pour les fixer ».

 Pour Jean Luc Nancy regarder ce n’est pas simplement voir, cela implique un égard pour ce qu’on regarde, regarder c’est diriger sa vue vers quelque chose et d’y prêter attention ; donc dans le regard il y a forcément de l’attention et de l’égard. Dans la linguistique, le mot Regard et Egard c’est presque le même mot avec deux préfixe et une raciner commune c’est garder. Donc Regard et Egard atterrissent ensemble sur la garde. Garder implique déjà de regarder ; garder signifie, retenir = conserver = maintenir, donc faire attention à. Avoir « l’œil dessus », pour garder un objet il faut d’abord le regarder. Selon jean Luc Nancy, regarder, c’est donc Garder deux fois.

 

Pour conclure

 Je partage avec vous, une phrase qui m’a fait me poser beaucoup de questions auxquelles je n’ai pas forcément de réponses :

Une phrase de Jacques Dérida : « Quand nos yeux se touchent fait-il jour ou fait-il nuit ?»

Qu’est-ce qu’on est sans le regard de l’autre, est-ce l’autre qui ponctue notre vision, notre désir, est-ce l’autre qui décide quand fait-il jour et quand fait-il nuit ?

Et quand il fait nuit, Dérida parle-t-il d’une interruption du regard ou encore d’une absence de regard ? Est-ce que le lever du soleil est suffisant pour qu’il fasse jour ? Quand l’autre baisse les yeux ou détourne son regard, ou encore évite un quelconque un échange de regard.

Nous plonge-t-il dans l’obscurité ?  Lacan dira « c’est par le regard que j’entre dans la lumière et c’est du regard que je reçois l’effet ».

 C’est ce Grand Autre qui, par son regard, par son discours nous permet de nous constituer face au miroir, de nous consolider et nous former comme « je » ; sans lui, l’aliénation à notre double, au vide et au trou serait inévitable.

Il nous regarde et donc il nous garde près de lui, devant lui, prend garde à ce que notre regard soit dirigé vers lui. Mais si ses paupières viennent à se toucher délicatement fermant les yeux nous regarde-t-il encore ?

Nietzche et Théodor Reik parlent d’une troisième oreille celui de l’analyste, existe-t-il alors un troisième Œil ?


[1]  M. Heidegger, “L’époque des conceptions du monde ”, in, Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Idées/Gallimard, 1980.

[2] J. Lacan, 1949, "Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je", in Écrits, Seuil, 1966, p. 94.

[3] G. Guillerault (2003), Le miroir et la psyché, Paris, Gallimard.

[4] « La boite à sardines », Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p.88.

[5] J.P. Sartre, L’être et le néant , Paris, Gallimard, Coll. TEL, 1976, p.314,315.

[6] J. Lacan., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Le Seuil,1973, p70.

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